Le manuel de l’ennemi

Pierre-François GOUIFFES
Margareth Thatcher face aux mineurs,
1972-1985 treize années qui ont changé l’Angleterre
Editions Privat
365 pages – 19 euros prix éditeur
ISBN : 978-2-7089-6880-6

Ce mois de septembre vient tout juste de voir la parution d’un ouvrage dont la fonction est développée ainsi par l’auteur dans les pages de remerciements :

« Le projet de ce livre est né d’une conversation début avril 2006 avec Jérôme Fournel, alors conseiller budgétaire du Premier ministre, à la fin de la crise du contrat première embauche. Cette crise, dont j’ai été un témoin indirect, m’a profondément marqué, comme d’ailleurs l’échec de la tentative de réforme du ministère de l’Economie et des Finances en 2000 à laquelle j’ai également assisté. La conduite pratique des réformes publiques et la gestion de crise sont en effet au cœur de ce livre ».

L’auteur veut aussi s’inspirer « de nombreux auteurs de livres d’histoire conjuguant la solidité et l’objectivité de l’analyse avec la volonté de présenter des évènements et des personnages de l’Histoire de façon simple et pédagogique ».

Si un Henri Guaino se ridiculise en rédigeant des discours honteux comme celui prononcé par Sarkozy lors de son périple à Dakar, insultant et méprisant les peuples africains, ici par contre on est dans un univers sérieux. Ici, on ne fait pas de la frime en disant que l’on a lu Gramsci, on réfléchit, à partir de la position d’un intellectuel organique de la bourgeoisie.

C’est pourquoi nous avons lu cet ouvrage avec attention. Il est solide : il traite non seulement de l’affrontement entre le régime de Thatcher et les mineurs durant la grève de 1984-1985 mais aussi des années qui précédèrent cet affrontement direct, notamment les grèves victorieuses des mineurs de 1972 et 1974, les grèves de l’hiver 1979 (Winter of Discontent) et la façon dont les patrons britanniques décidèrent d’en finir une bonne fois pour toutes avec ce pouvoir syndical encombrant, ces salariés prompts à se mettre en grève pour leurs revendications.

Depuis, on sait ce qu’il en est advenu : passée la grande défaite des mineurs, dont leur syndicat, le NUM, constituait l’épine dorsale du mouvement ouvrier britannique, malgré le succès d’une mobilisation de masse telle que la campagne contre la Poll Tax qui contribua fortement au départ de Thatcher, l’encéphalogramme du mouvement ouvrier semble bien plat.

Plus de vingt ans de paix sociale, une alternance avec le New Labour qui ne menace plus les riches mais les rassure et les arrose. Thatcher a bien mérité de sa classe sociale !

Ce livre a été écrit pour être lu et commenté dans les cantines d’énarques, des grands commis de l’Etat qui auront en charge la fameuse « gestion de crise », crise qui ne manquera pas de survenir quand les salariés commenceront à rejeter les mesures anti-sociales de Sarkozy et de son gouvernement. Comment doser, combiner et affiner l’usage de la répression, des mesures légales ou extra-légales, la bataille des médias, les positions des grands partis ou syndicats, bref comment tirer les leçons de ce qui a marché en GB pour le compte de la bourgeoisie et tenter d’en appliquer les recettes ici en France.

Une place toute particulière est réservée dans l’ouvrage au traitement de l’évolution de la législation syndicale en Grande Bretagne, depuis la tentative d’Harold Wilson avec le projet « In place of Strife » dans les années 60, jusqu’aux lois de Thatcher qui ont de fait rendu quasi-impossible de faire grève aujourd’hui en Grande Bretagne, le berceau historique du syndicalisme.

C’est pourquoi les militants ouvriers qui, en France, s’opposent à la loi dite « du service minimum » ont intérêt eux aussi à étudier ces batailles du proche passé de la guerre de classes. D’autant plus que Thatcher y est allé avec prudence, que ses lois anti-syndicales ne sont pas rentrées dans la vie du seul fait de leur adoption au Parlement. L’auteur souligne qu’avant d’engager la bataille, Thatcher n’avait aucune garantie quant à son issue favorable pour elle. Aujourd’hui, il en va de même pour Sarkozy, le MEDEF et l’UMP.

Ne laissons pas le monopole de la réflexion sur le passé des luttes à ceux d’en face !

L’ouvrage comporte en annexes une chronologie, un glossaire, une bibliographie et un index.

Une Réponse to “Le manuel de l’ennemi”

  1. Pierre-François Gouiffès Says:

    Bonjour,

    Votre analyse suppose une lecture détaillée de mon livre et je vous en remercie.

    – je suis mal placé pour savoir si je suis un « intellectuel organique de la bourgeoisie » ou autre chose. Tout ce que je peux dire, c’est que ce livre a été écrit après avoir rencontré des témoins des événements tant du côté syndical et de la gauche politique britannique (dans laquelle le parti communiste de Grande-Bretagne avait alors une influence considérable) que de celui du gouvernement. La double signature de Leon Brittan, ministre de l’intérieur en 1984-1985 et de Kim Howells, un important dirigeant du syndicat des mineurs à cette époque, est là pour l’attester en 4ème de couverture ;

    – de mon point de vue, l’objectif principal du livre est de décrire de la façon la plus complète possible le cycle historique complet constitué sur la période 1972-1985 par les trois grèves des mineurs et la grève générale de 1979 (« winter of discontent »). Le livre propose cette description d’événements politique et sociaux à mon sens tout à fait extraordinaires non à un camp donné mais à tous ceux qui prennent comme vous le temps le lire, dont bien sûr les responsables syndicaux ;

    – comme dans n’importe quel travail humain, il y a des partis pris. Je crois que le mien est celui de l’efficacité. A ce titre, le livre décrit de la même façon l’extraordinaire gestion de l’équipe dirigeante du syndicat des mineurs dans années 1970 qui éreinte un gouvernement malchanceux, mal préparé et faisant de mauvais jugements, et l’habilité et le sens pratique de l’équipe Thatcher dans les années 1980 face à un adversaire qui a visiblement perdu la main ;

    – un second parti pris peut-être est de montrer ce qu’est réellement un affrontement social dans une démocratie moderne, avec son lot de risque pour toutes les parties prenantes (personne n’est jamais sûr de gagner en commençant de telles affaires) et de souffrances, notamment pour les « soldats » de chaque camp. J’espère avoir traité avec le respect qui s’impose les souffrances des mineurs et de leurs proches lors de la grande grève de 1984-1985, malheurs à mon sens imposés autant par l’accumulation d’erreurs de leurs dirigeants (ce sont eux même qui le reconnaissent aujourd’hui !!!) que par la détermination sans faille du gouvernement Thatcher.

    Bien cordialement.

    Pierre-François Gouiffès

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